Le calme semble revenu dans la communauté de Nueva Esperanza, après 3 ans d’escalade de tensions entre ses habitants pacifiquement opposés à un projet d’exploitation minière et l’entreprise Minerales Victoria. Retour sur un des cas qu’accompagne l’ONG PROAH.
Nueva Esperanza est une communauté de 50 familles située au nord du Honduras, dans le Département d’Atlantida, bordant la côte caraïbe. Elle vit principalement des revenus de sa terre ainsi que des remesas, l’argent envoyé par les membres de la famille qui ont fait le dangereux voyage vers les États-Unis.
Les sols de la Nueva Esperanza sont riches en oxyde de fer, en charbon et surtout en or. En 2012, le gouvernement hondurien cède une concession minière de 1000 hectares à l’entreprise Minerales Victoria sur les terres privées des habitants. Son propriétaire, Lenir Pérez, est le gendre du propriétaire terrien Michel Facussé (entreprise Dinant) et opère au travers de la compagnie Alutech, partie de Inversiones EMCO, une entreprise dont le siège est à San Pedro Sula (Honduras). Cet imbroglio est volontaire puisqu’il sert à brouiller les responsabilités et les activités de ces entreprises. Ainsi, impossible de trouver des informations sur Minerales Victoria par une simple recherche sur internet, alors que la compagnie est aux commandes d’une dizaine d’autres projets de ce genre au Honduras.
En 2012, Minerales Victoria déclare son intention d’effectuer une activité extractive non-métallique dans la région de la Nueva Esperanza. Pour ses habitants, il est évident que l’entreprise projette d’en extraire de l’or. Toutefois, l’entreprise ne déclare vouloir extraire que de l’oxyde de fer afin de pouvoir contourner un moratoire interdisant l’extraction minière métallique en vigueur à l’époque.[1] En effet, la classification de l’oxyde de fer par la Direction Exécutive du Développement Minier (DEFOMIN) comme métallique ou non-métallique dépend simplement de l’usage que le concessionnaire déclare (par une simple communication qui ne nécessite pas d’être accompagnée de preuve tangible). Ainsi, si une entreprise déclare utiliser l’oxyde de fer pour la production de composés métalliques, ce dernier est catégorisé comme produit métallique. Au contraire, si l’entreprise déclare au gouvernement qu’elle utilisera l’oxyde de fer pour la production de composés non-métalliques, il est catégorisé comme produit non-métallique. Dans ce dernier cas, son extraction n’est alors pas soumise aux mêmes règles puisque compte tenu de ses conséquences environnementales plus importantes, l’extraction métallique est plus réglementée.
Afin de contrer l’opposition à son projet, Minerales Victoria engage une compagnie de sécurité privée qui menace les habitants refusant de lui vendre ses terres. Une stratégie typique mise en œuvre par les entreprises cherchant à exploiter les ressources naturelles sur lesquelles vivent des communautés (que ce soit à des fins minières ou touristiques) est de diviser la population. Elles promettent des retombées économiques importantes, poussant certains à travailler pour elles. Ainsi, le chef de cette entreprise, Wilfredo Funes, était l’un des membres de la communauté de Nueva Esperanza. Il a été à la tête d’employés de la mine qui ont semé la terreur à la Nueva Esperanza, en patrouillant lourdement armés pendant la nuit, en tirant des coups de pistolet en l’air ainsi qu’en menaçant frontalement les habitants. Certains ont fuit leur logement face à ces menaces. Cette intimidation s’est faite en collusion avec le poste de police de Bella Vista, près de la Nueva Esperanza, dont les agents au courant de la situation n’ont jamais porté assistance aux victimes de menaces, malgré les nombreuses dénonciations aux autorités. Le Ministère Publique ainsi que le Commissaire National aux Droits de l’Homme ont constaté que ces policiers ont agi sans aucun mécanisme de contrôle étatique.
Le 25 juillet 2013, deux défenseurs des Droits de l’Homme (de nationalité suisse et française) de l’ONG PROAH (Proyecto de Acompañamiento Internacional en Honduras) ont été séquestrés pendant deux heures par Wilfredo Funes et son équipe d’une trentaine d’hommes armés de fusils et de machettes. Ils ont été retenus dans la maison d’une famille de la Nueva Esperanza que les deux défenseurs accompagnaient suite à des menaces d’employés de Minerales Victoria. Outre la condamnation par Amnesty International[2] de la séquestration, l’organisation Human Rights Watch[3] a quant à elle exhorté le gouvernement hondurien à ne pas mépriser les droits des leaders des ONGs honduriennes (dans ce cas-ci Bertha Oliva de COFADEH[4] et Victor Fernandez du MADJ[5]) qui ont attiré l’attention du Congrès américain sur ce sujet. En effet, le gouvernement hondurien a tenté de délégitimiser ces derniers en remettant publiquement en cause le fait que le séquestre ait eu lieu. Ceci est un exemple des nombreuses violations des Droits de l’Homme dont sont victimes les défenseurs de ces droits au Honduras, ainsi que de l’absence de sécurité offerte par le gouvernement hondurien.
En novembre 2014, Wilfredo Funes a été condamné à une peine de 4 ans et 3 mois de prison pour privation injuste de liberté, violation de domicile et pressions. Selon la loi hondurienne, en dessous de 5 ans de réclusion, le peine peut être transformée en amende d’un montant de 10 Lempiras par jour (environ 50 centimes suisses), ce qui dans le cas de Wilfredo Funes s’élève à environ 775.- CHF. Si cette somme est importante pour un Hondurien, elle ne l’est pas pour Minerales Victoria qui a probablement payé les frais d’avocat de son ancien chef de sécurité. Malgré tout, selon Victor Fernandez du MAJD, avocat de l’accusation dans ce cas-ci, l’affaire mérite un « applaudissement ». Wilfredo Funes a été jugé en un temps très court pour les standards honduriens, et est officiellement condamné pour ses actes (alors qu’au Honduras, l’impunité règne dans 96% des cas d’homicide).
Ainsi, le calme est revenu dans la communauté de Nueva Esperanza. Grâce à la pression de la société civile nationale et internationale, Wilfredo Funes a été jugé. En outre, après sa phase d’exploration, la demande de concession d’exploitation est pour l’instant en suspens. Toutefois, Minerales Victoria détient toujours la concession et les habitants de la communauté craignent un possible retour dans la communauté de Wilfredo Funes, sorti de prison grâce au paiement de la caution. PROAH, qui a accompagné le cas durant tous les développements mentionnés ci-dessus, continuera à suivre l’évolution de la situation.
Christelle Genoud, Nueva Esperanza, février 2015
[1] Ce moratoire n’est désormais plus en vigueur depuis l’adoption en 2013 de la nouvelle loi sur l’extraction minière.
[2] http://www.amnesty.org/es/library/asset/AMR37/008/2013/es/6ebce77b-88ce-4006-a173-6e4b5e5497a9/amr370082013es.html
[3] http://www.hrw.org/es/news/2013/11/08/honduras-tacticas-de-descredito-ponen-en-riesgo-activistas
[4] Comité de Familiares de Detenidos Desaparecidos en Honduras
[5] Movimiento Amplio por la Paz y la Justicia