L’ambiance est tendue depuis quelques semaines au Guatemala. Le 16 avril, la Commission Internationale contre l’Impunité au Guatemala (CICIG) a publié un rapport impliquant plusieurs officiels de l’Etat dans une structure de crime organisé au sein même du gouvernement, qui serait contrôlé par les offices douaniers. Il a été révélé que le secrétaire privé de la vice-présidente, aujourd’hui en fuite, n’est autre que le chef de ce réseau criminel. En outre, certains indices démontreraient que la vice-présidente et le président lui-même connaissaient l’existence de ce réseau et pourraient en être complices d’une manière ou d’une autre.

Ironie : La marche du 10 mai dans la région ixil pour la commémoration du deuxième anniversaire de la condamnation de Ríos Montt passe sous les guirlandes du Partido Patriota, parti politique de l’actuel Président ©Magali Grossenbacher/2015
L’annonce du scandale s’ajoutant à plusieurs cas antérieurs de corruption au sein du gouvernement, la population guatémaltèque est descendue dans la rue pour exprimer son mécontentement dans plusieurs parties du pays. Le 25 avril, plus de 30’000 personnes se sont réunies devant le Palais National en plein centre de la capitale pour demander le départ du président Otto Pérez Molina et de la vice-présidente Roxana Baldetti. Le samedi suivant, l’opération s’est répétée. Finalement, le 8 mai, Roxana Baldetti a abdiqué et a annoncé son retrait du gouvernement, qui a été approuvé. Les gens des communautés perçoivent ce retrait comme une victoire du peuple uni, capable d’obtenir des résultats grâce à la pression sociale qu’il exerce. Il est également intéressant de noter que le CACIF, le secteur économique le plus puissant, a lui aussi exigé le départ de Roxana Baldetti, rompant son alliance avec le gouvernement.
Au haut niveau de corruption s’ajoute la violence extrême, constituant tous deux d’importants obstacles dans la lutte contre l’impunité. De nombreux défenseurs des droits de l’Homme et journalistes sont quotidiennement menacés, voire arrêtés. Cette année, 11 militants ont déjà été assassinés, contre sept pour la totalité de l’année 2014. Dans la région de Huehuetenango, cinq leaders communautaires ont été emprisonnés depuis le mois de mars. Une radio communautaire a été fermée. C’est un méchant coup qui est ainsi porté à la liberté d’expression.
En Ixil, la police et l’armée ont procédé à plusieurs expulsions d’opposants aux centrales hydroélectriques. Ceux-ci exprimaient leur mécontentement quant au non respect de certains accords par l’entreprise en barricadant la route. Quatre personnes ont alors été capturées et un enfant a été gravement blessé par une bombe lacrymogène.
La lutte contre l’impunité reste un des combats les plus importants pour les communautés. Le 10 mai, nombreux sont ceux qui ont célébré le deuxième anniversaire de la condamnation de José Efraín Ríos Montt à 80 ans de prison pour génocide et crime contre l’Humanité. Même si le jugement a été annulé après coup, pour beaucoup, il reste toutefois valide. Dans ce contexte, le procès en appel d’Erwin Sperisen qui vient de se terminer à Genève a été accueilli avec enthousiasme au Guatemala. En effet, la confirmation par la justice suisse de la peine à perpétuité qui frappe Erwin Sperisen est considéré comme une preuve que justice peut être rendue. Même si au Guatemala, on en est encore loin…
Dans les communautés faisant partie des régions accompagnées par ACOGUATE, les gens expriment leurs peurs et leurs doutes face à cette période électorale qui débute. Lors des campagnes antérieures, une augmentation de la violence avait été observée, de même que des tentatives de manipulation, diverses tensions et divisions au sein des communautés. Ces dernières espèrent enfin avoir un gouvernement capable de les représenter, tout en sachant que cela semble plutôt utopiste. Ce qui est sûr, c’est qu’Otto Pérez Molina n’a jamais été le bienvenu et que ce n’est pas maintenant que ça va changer. Les élections sont prévues pour septembre. Les partis politiques, tels que le Partido Patriota (parti d’Otto Pérez Molina) ou encore le LIDER (parti populiste soupçonné de liens directs avec les narcotrafiquants) commencent à arriver jusque dans les communautés, offrant aux habitants tel ou tel matériau, tentant de les acheter. Comment ces derniers vont-ils s’organiser pour répondre à cette pression politique et pour être les plus unis possible ?
La situation générale est donc préoccupante et plus qu’incertaine. Ces démonstrations de ras-le-bol, de rejet à l’encontre du gouvernement en place sont d’une importance capitale dans la campagne électorale qui a débuté le 4 mai. ACOGUATE continuera d’observer la situation dans les communautés au cours des prochains mois.
Magali Grossenbacher, Guatemala, 12 mai 2015