J’ai essayé de résumer des situations qui sont immensément plus complexes en réalité que sur le papier, pardonnez-moi donc d’éviter certains détails, par mesure de sécurité autant que pour simplifier la compréhension.
PWS accompagne 5 communautés campesinas dans la région du Magdalena Medio: Las Pavas, El Garzal, Nueva Esperanza, El Guayabo et Bella Union. Toutes sont des communautés de paysans qui luttent pour leurs terres qu’on leur retire par la force et la violence. Leur lutte pacifique et non-violente pour leurs droits les plus stricts est appuyée par des associations de défense des droits humains, des avocats, des psychologues et des accompagnateurs internationaux. Malgré cela, leur situation reste précaire et leurs conditions de vie déplorables. Toutes subissent fréquemment des menaces voire des attaques directes et vivent dans une peur constante. Voici dans cet article le cas de l’une de ces communautés.
Las Pavas
L’histoire
Une partie des terres appartenait à un certain J. Escobar qui se livrait au narcotrafic en ces lieux. Il a quitté l’endroit et disparu dans la nature. Les campesinos s’y sont installés et ont cultivé de quoi se nourrir pendant de nombreuses années. Une loi en Colombie fait d’une personne la propriétaire d’une parcelle si celle-ci l’occupe pendant plus de 5 ans sans que celle-ci soit réclamée par l’ancien propriétaire. Les campesinos de Las Pavas possèdent donc cette terre légalement. Seulement, Escobar a vendu les titres de possession à une entreprise d’huile de palme, Aportes San Isidro S.A. Il n’a pas seulement vendu son « domaine », mais toute la région de Las Pavas. L’entreprise est arrivée accompagnée de paramilitaires pour déplacer de force les campesinos. Depuis, l’entreprise a planté une véritable palmeraie et continue à semer à l’heure qu’il est. Les campesinos sont retournés plusieurs fois s’installer à Las Pavas malgré le danger que cela représentait pour eux. Ils ont gagné le Prix Nobel National de la Paix colombien et sont reconnus comme victimes, mais cela n’a rien changé à la situation.
Ce qui se passe maintenant
La proximité dans laquelle les pavareros coexistent avec les travailleurs de l’entreprise est insoutenable. La finca de l’entreprise est établie à l’entrée des terres, où les travailleurs ont installé une barrière illégale, par laquelle doivent passer toutes les personnes qui désirent entrer ou sortir de Las Pavas, notamment les enfants qui se rendent à l’école au village le plus proche, Buenos Aires. A chaque passage, s’essuient insultes, menaces, harcèlement moral et sexuel. Quand nous nous rendons là-bas en tant qu’observateurs nous en faisons également les frais, ce qui nous permet de nous rendre compte de la tension qui existe à cet endroit. Ils sont armés et ne manquent pas de le faire savoir, en sortant et agitant leurs machettes ou en tirant des coups de feux en l’air. Le campement des pavareros se situe juste derrière la finca, à quelque 20 ou 30 mètres. C’est là que nous dormons et mangeons en général. La dernière fois que nous sommes arrivés à la barrière, les travailleurs l’avaient fermée avec une chaîne cadenassée le matin-même, informés que nous allions arrivés par des « espions » à Buenos Aires probablement. Depuis, elle n’a toujours pas été réouverte. Les enfants ne peuvent plus se rendre à l’école, ou doivent faire une boucle de plusieurs kilomètres. De plus, les pluies qui inondent le terrain à cette période de l’année compliquent beaucoup le trajet.

La barrière enchaînée par l’entreprise, que nous sommes obligés d’escalader pour passer ©Judith Bovard/2015
En ce moment, les pavareros sont en processus de retour à leurs parcelles. Ils construisent des maisons et sèment de la yuca, du riz et du mais pour alimenter leurs familles. Seulement, les travailleurs de l’entreprise brûlent leur maison et leur récolte, empoisonnent les plantes et les animaux, menacent, harcèlent les femmes et les petites filles. Les campesinos se retrouvent dans une situation de crise alimentaire où 97% des enfants souffrent de malnutrition. Ils n’ont aucun accès à l’eau potable si ce n’est par une marche de plus d’une heure jusqu’au fleuve ou par des puits qui recrachent une eau boueuse et putride qu’ils peuvent heureusement filtrer grâce à des seaux de purification offerts par ChristianAid.

A côté de l’une des maisons, les campesinos forent un puit pour s’éviter les heures de marche jusqu’au fleuve ©Judith Bovard/2015

Nous sommes parfois obligés de construire au fur et à mesure le chemin jusqu’aux maisons, les inondations rendant les sentiers impraticables ©Judith Bovard/2015

Les ânes sont les meilleurs moyens de transport, même en période de pluie, seulement ils ne peuvent pas passer par la barrière de l’entreprise ©Judith Bovard/2015
Chaque fois qu’une nouvelle maison est construite, l’entreprise en construit une autre juste en face et poste un homme chargé de surveiller la famille à toute heure du jour et de la nuit. Si l’homme de la maison s’en va travailler aux champs, il vient déranger et menacer la femme qui est restée avec les enfants.

Les travailleurs de l’entreprise sont toujours accompagnés d’un photographe qui nous mitraille le portrait en permanence ©Judith Bovard/2015

Les travailleurs plantent des palmiers à quelques mètres seulement d’une maison campesina, violant la délimitation instaurée le jour d’avant ©Judith Bovard/2015
En avril, la police a délimité une parcelle autour de deux maisons de campesinos de Las Pavas ou les travailleurs de l’entreprise n’ont pas le droit de semer des palmiers. Le lendemain, pour prouver qu’ils ont les autorités de leur coté et plus de pouvoir que les pavareros n’en auront jamais, une cinquantaine de travailleurs sont arrivés pour semer des palmiers dans toute la zone qui avait été délimitée, par pure provocation. Un photographe les accompagne toujours, essayant de capturer le moindre signe d’agressivité des pavareros afin de pouvoir les dénoncer comme étant de dangereux guérilleros violents, s’attaquant aux pauvres travailleurs de l’entreprise sans défense. Ils sont donc condamnés à observer leurs terres prises d’assaut sans rien pouvoir faire.
Appeler les autorités quand se produisent ce genre de violations ne sert strictement à rien, car la police ne vient simplement pas quand ce sont les campesinos qui nécessitent de l’aide. Par contre, quand l’entreprise appelle les autorités, celles-ci arrivent 15 minutes plus tard en hélicoptère avec 60 policiers armés de mitraillettes. J’exagère à peine. L’un des chefs de l’entreprise serait un ancien paramilitaire non-démobilisé qui a contre lui toute une ribambelle de preuves sous forme de déclarations, photos et vidéos, mais qui n’a strictement jamais été inquiété par les autorités, alors même qu’il a récemment menacé la communauté d’appeler ses anciens potes de massacres pour venir débarrasser la région de leur existence.
La situation est telle que certains leaders sont contraints de porter des gilets par balles quand ils se rendent aux parcelles et d’être accompagnés par des gardes du corps.
C’est un guerre psychologique tenace que subissent les campesinos chaque jour à Las Pavas.
Judith Bovard, Las Pavas, 12 juin 2015
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