Artícle de Mireia Izquierdo, coordinatrice de l’accompagnement international de Droits Humains de Peace Watch Switzerland (PWS) au Honduras. Traduction au français: Alessandra Diaz Tovar.
Tegucigalpa, Honduras, principios de diciembre 2021
Le 10, 11 et 12 novembre passés, PWS et Witness For Peace, organisation internationale d’accompagnement de droits de l’Homme, nous avons fait une tournée pour faire connaissance de plusieurs coopératives paysannes membres de la Plataforma Agraria del Aguan. La Plataforma Agraria, basée à Tocoa, est un réseau national composé de plus de 30 organisations, dont leur objectif principal est d’atteindre des changements favorables pour les paysan.ne.s. Ceci est visé au niveau des politiques publiques à travers de la Loi de Transformation Agraire Intégrale présentée au Congrès National du Honduras depuis 2011.
Dans une crise quasi permanente, la situation de la région de l’Aguan est de plus en plus précaire pour la population paysanne depuis la publication de la Loi de Modernisation et Développement du Secteur Agricole en 1992. Cette dernière a promu la vente de terres, très régulièrement d’une manière frauduleuse, ce qui a amené à la concentration de la propriété de ces terres par des grands entrepreneurs agricoles, dont leur objectif est la monoculture, notamment l’exploitation de palme africaine. En conséquence, les paysan.ne.s se sont vu.e.s dépourvu.e.s de leurs terres.
En ce sens, le processus de dépossession de terres a amené plusieur.e.s paysan.ne.s à s’articuler en coopératives paysannes pour récupérer ce qui leurs appartient: les terres qu’ils/elles ont tenu pendant plusieurs années, qu’ils/elles ont travaillé avec ses propres mains.
El Remolino, une des coopératives paysannes, a entamé un processus pour récupérer leurs terres, qui comptent 1 166 hectares, depuis le 21 octobre dernier. Nous avons observé dans notre accompagnement qu’environ 200 personnes membres de la coopérative habitent actuellement ces terres- dans des maisons construites avec des toits en plastiques, des bâtons et des feuilles de palmiers- de façon à les récupérer. Ils/elles nous ont manifesté que la situation a été compliquée depuis le premier jour de la récupération, mais ceci n’est pas nouveau : « en 2017, nous avons été objet d’une perquisition par la Police Militaire, ils nous ont tiré dessus et ils nous ont réprimés avec du gaz lacrymogène. Ils ont blessé de balle un de nos camarades dans l’entrejambe, ce qui l’a renvoyé plusieurs jours à l’hôpital dans un état très grave ».
Cette coopérative possède un titre de propriété original qui date de 1991 puisque leurs membres ont payé une somme d’argent pour acheter ces terres et pour devenir les titulaires. En revanche, Inversiones la Ceibeña se déclarent actuellement les propriétaires légitimes des terres mentionnés.
De ce point de vue, deux membres de cette coopérative sont actuellement criminalisés, notamment un homme âgé de plus de septante ans, sous un mandat d’arrêt actif envers eux, raison pour laquelle ils expriment « nous ne sortons jamais de ces terres, nous avons peur ».
Dans une deuxième coopérative que nous avons visitée appelée Gregorio Chavez, on nous a témoigné d’agressions policière et militaire, voire même des agressions exercées de la part d’agents de sécurité d’une grande entreprise basée dans le nord du pays. Le fait le plus actuel s’est déroulé le 8 juillet de cette année, lors de l’assassinat de Juan Manuel Moncada, défenseur de droits de l’Homme et membre de cette coopérative. Le HCDH a condamné ce meurtre de façon publique :
« Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) condamne le meurtre de Juan Manuel Moncada, défenseur de droits de l’Homme et dirigeant de l’entreprise paysanne « Gregorio Chávez », qui a succombé à des blessures par balle le mardi 6 juillet dans la municipalité de Tocoa, département de Colón. Monsieur Moncada avait déjà signalé des menaces au Ministère Publique et il était bénéficiaire du Système National de Protection de Défenseurs des Droits de l’Homme, des Journalistes, des Communicateurs sociaux et des Opérateurs de justice.
Le HCDH regrette que l’État du Honduras n’ait pas pris de mesures préventives suffisantes pour éviter des événements tels que ce nouveau meurtre, malgré des plaintes et des avertissements répétés concernant le risque imminent auquel sont exposés les défenseurs des droits de l’Homme dans la région de Bajo Aguán, notamment le meurtre de Santos Marcelo Torres, ancien membre de la coopérative paysanne “Gregorio Chávez”, survenu le 26 juin 2021. La mesure de précaution 50-14 accordée par la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) en mai 2014 décrivait déjà la situation de risque grave à laquelle sont confrontés les leaders paysans de la région, notamment les membres du groupe paysan “Gregorio Chávez”. Le HCDH exhorte les autorités compétentes à mener les enquêtes nécessaires de manière rapide et impartiale et à clarifier les responsabilités dans ces deux meurtres récents”.
Malgré la répudiation publique et la dénonciation du HCDH, l’épouse du défunt Moncada nous a dit pendant l’accompagnement qu’aucun progrès n’a été fait dans l’enquête de police sur le meurtre de son mari. En effet, elle n’a aucun espoir qu’une enquête diligente soit menée, et la réponse qu’elle a obtenue face à ceci a été “dans ces cas-là, on ne peut rien faire”.
La situation tragique dans laquelle vivent de nombreu.ses paysan.ne.s à l’Aguan témoigne d’une aggravation du problème agraire au niveau national pour diverses raisons, telles que le changement climatique, l’insécurité alimentaire, la re-concentration des terres, etc. A PWS, nous sommes en direction de tisser nos liens avec la Plataforma Agraria afin de pouvoir accompagner les coopératives paysannes de l’Aguan.