Petites digressions d’un privilégié

Article de Julien Christe, accompagnateur PWS International Human Rights au Honduras

Avertissement : Cet article est une réflexion personnelle de l’auteur et ne représente pas l’opinion institutionnelle de Peace Watch Suisse.

Tegucigalpa, Honduras

Légende : Soldats honduriens protégeant la chambre de commerce lors d’une manifestation paysanne à El Progreso, Yor

Un acompagnant internacional de Droits Humains de PWS au Honduras réflechit concernant ses privilèges comme suisse et avec son arrière-fonds personnel et professionnel.

Je suis un homme blanc, hétérosexuel, ayant fait des études universitaire, je viens d’une famille de la classe moyenne en Suisse. Autant dire que dans la plupart des pays du monde je suis considéré comme riche même si je en le suis pas chez moi. Si’il y avait une photo en face de la définition de privilège dans le dictionnaire ce serait sûrement la mienne ou de quelqu’un qui me ressemble beaucoup.

Une fois ce constat établi, que puis-je en faire ? Je ne peux pas changer qui je suis ni la vie que j’ai vécu ni l’endroit ou la famille dans lesquels je suis né. Comme je crois dans l’égalité entre toutes les personnes, il me faut trouver une manière d’utiliser ces privilèges au profit de ceux et celles qui ne les ont pas. Le travail que je réalise ici au sein de Peace Watch Switzerland est une première étape. Notre présence au Honduras permet d’apporter une certaine protection aux personnes que nous accompagnons. Lorsque nous entrons dans une salle de tribunal les juges et les procureurs savent que leurs actions et leurs décision seront connues au-delà des frontières du département et du pays. Et cela les incite, parfois, à adopter un comportement plus éthique et légal que si nous n’étions pas là. De même avec les forces de sécurité du pays ou les gardes des entreprises. Mais ici se pose une autre question. Quel est le but ultime de ce travail ? Bien qu’il soit nécessaire à certains moments, le but ultime d’une organisation comme la notre et de toutes celles travaillant dans le pays devrait être leur propre destruction. Par là, je veux dire que notre but devrait être que nous ne soyons plus nécessaires. Que les gens que nous accompagnons n’aient plus besoin de l’appui de personnes extérieures mais que elles-mêmes puissent mener leurs combats sans craindre d’être assassinées, menacées ou emprisonnées. Pour cela, il nous faut nous interroger sur le potentiel transformateur de nos actions. Il nous faut nous interroger sur les structures patriarcales, racistes et élitistes auxquelles nous nous opposons.

Et ici je ne parle pas seulement de notre travail. Je parle de nos actions et de nos réactions quand nous entendons des propos ou que nous sommes témoins d’actions machistes, racistes ou Homo/lesbo/bi/trans/ phobes entre autres. De manière plus général, de comment abolir nos propres privilèges. De comment nous transformer en allié et non en oppresseurs. Mais bien que le changement personnel soit une part de la solution, il ne sera pas suffisant.

Pour cela nous aurons besoin d’un changement du système capitaliste et militariste global. En effet, les systèmes de domination qui ont pour résultat les attaques contre les défenseurs et défenseuses des droits humains que nous accompagnons trouvent leur origine dans des institutions servant à protéger les intérêts d’une élite. Dans le cas du Honduras, on pourrait citer notamment le besoin des sociétés « occidentales » en matières premières, en énergie et en travail sous-payé. Cette exploitation a pour conséquence l’imposition de régimes non démocratiques. Même si le pays pourrait être vu de l’extérieur comme une société démocratique ou les gens peuvent voter, le résultat de ce vote n’a jamais abouti a une transformation réelle des conditions de vie des habitants. Cela est du au fait qu’ici, et dans beaucoup d’autres pays, le pouvoir réel ne se trouve pas là. Des élites économiques corrompues alliées à des pays comme les États-Unis et aux banques et organisations internationales de « développement » du type Banque Mondiale ou FMI, décident de la vie du pays. En effet, la présence de projet extractivistes dans le pays produisent des bénéfices important pour la classe dirigeantes au travers notamment de leurs participations aux projets mais également de la corruption qui les accompagnent. Les pays qui soutiennent leurs entreprises ferment les yeux sur les violations de droits humains, les conditions de travail déplorables et les atteintes environnementales qui les accompagnent. Le plus important pour eux sont les bénéfices et leur approvisionnement en matière premières et en énergie. Même quand ils viennent « aider » au travers de projets de « coopération » c’est majoritairement pour calmer la lutte des populations qui s’opposent à la destruction de leur environnement et de leur vies. Quand cela ne suffit plus, ils subventionnent et entraînent les forces de sécurité du pays afin de faire taire toutes les voix discordantes. Ce militarisme accru tend au final à maintenir et renforcer les schéma de pouvoir déjà présents. L’armée porte en sa structure des valeurs d’obéissance aveugle et de virilisme qui amènent au final à empêcher toutes les avancées sociales visant à obtenir une société plus démocratique et moins patriarcale. Les églises, et dans le cas du Honduras, les sectes protestantes venant des États-Unis particulièrement, jouent un rôle similaire. Les prêts qui sont octroyés par les organismes internationaux sont une autre manière de s’assurer du status-quo. En effet, les dettes abyssales contractées par les États permettent à ces organismes d’agir comme des législateurs non élus de ces pays. En les obligeant à adopter des politiques néo-libérales contre leur volonté. Même lorsque ces dettes ont été contractées par des personnes non élues démocratiquement et qui sont, comme dans le cas du Honduras, des narcotrafiquants. Toutes ces structures internes et externes au pays font que l’idée de changement positifs pour le pays sont rendu quasiment impossibles.

Il nous faut donc, en plus du travail que nous réalisons ici, travailler au changement de ces structures. Cela ne sera possible que lorsqu’une majorité des habitants des pays exploiteurs que sont les notre réaliseront que nos richesses et nos « démocraties » ne sont possible dans ce système qu’à travers l’exploitation et la destruction des pays et des gens que nous exploitons et décideront de s’opposer à ce système. Mais pour cela, il faudrait justement que nous acceptions de reconnaître et de renoncer à nos privilèges.

D’autres que moi ont réfléchi à ces questions et de manière plus intelligentes. Je ne prétends pas ici donner une solution mais seulement faire part de ce dont j’ai pu être témoin. De plus, comme personne privilégiée, il m’est souvent difficile de reconnaître ou de comprendre des expériences et des situations auxquelles je n’ai pas été confronté personnellement au cours de ma vie.
La première chose à faire sera donc de me taire et d’écouter toutes celles et tous ceux à qui ont a nié cette parole pendant bien trop longtemps et de leur laisser la place afin qu’ils réalisent eux et elles-mêmes les transformations qu’ils et elles décideront.

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