GUATEMALA. En observant ma montre ce matin, je me demande : “Quelle est l’histoire de cette montre et des matériaux qui la constituent ?” L’argent, ce matériau brillant et raffiné au premier abord, n’est peut-être pas si classe qu’il en a l’air. Je repense à mon expérience en tant qu’observatrice des droits humains ici au Guatemala. Entre indignation et frustration mon cœur balance. Et cela me décide à vous raconter l’histoire de la mine d’argent El Escobal, méga-projet canadien implanté sur le territoire de la commune de San Rafael Las Flores et représentant la troisième plus grande exploitation d’argent au monde. Après plusieurs années de combat pacifique, la résistance au projet minier retient son souffle. D’ici quelques jours, la Cour Constitutionnelle devrait rendre sa décision par rapport à la reprise des activités de la mine. La tension se fait sentir dans la capitale où la résistance organisée en occupation permanente depuis plusieurs mois a été rejointe la semaine dernière par une occupation permanente d’employés de la mine. Retour sur les événements clés afin de comprendre les enjeux de cette décision pour la population autochtone.
« Tout a commencé en 2007, avec l’implantation de la mine d’argent sur le territoire de la commune de San Rafael Las Flores. Ce méga-projet canadien représentant la troisième plus grande exploitation d’argent du monde, il génère donc rapidement des contestations au sein de la population locale, composée majoritairement d’agriculteurs et agricultrices de l’ethnie Xinca. Depuis 2011, un mouvement de protestation pacifiste se met en place afin de défendre ses droits et d’exprimer ses inquiétudes par rapport aux effets néfastes de la mine sur les eaux et les sols et donc sur les récoltes et les revenus. La résistance souligne également le décalage entre ce projet et les aspirations de la population locale. En plus d’être en contradiction avec la vision du développement de la population autochtone, cette dernière ne bénéficie pas des emplois créés en raison du manque de qualification et d’intérêt des habitants pour le travail d’extraction.
La voix du peuple Xinca étant ignorée par les autorités guatémaltèques, la licence d’exploitation est donc octroyée à l’entreprise canadienne Tahoe Resources qui commence son activité extractive au travers de sa succursale guatémaltèque Minera San Rafael en 2013. Suite à l’octroi de cette licence, les mouvements de protestation augmentent et sont souvent violemment réprimés par les autorités. Entre 2014 et 2016, plusieurs militants sont blessés et quatre sont tués dans des attaques par armes à feu. A l’heure actuelle, aucun de ces meurtres n’a fait l’objet d’un jugement, malgré les efforts de la résistance et des proches des victimes pour obtenir justice.
D’autres actions judiciaires sont également en cours, dans le but de mettre un terme au projet minier. En mai 2017, un recours a donc été déposé devant la Cour Suprême de Justice, dénonçant le manquement de l’État pour l’absence de consultation du peuple Xinca avant l’octroi de la licence d’exploitation de la mine. Suite à ce recours, les activités minières ont été directement suspendues, le temps que la Cour se prononce. Le 8 septembre dernier, celle-ci rend un verdict ambigu : elle ordonne l’organisation d’une consultation populaire dans les 12 mois, tout en permettant la reprise des activités de la mine. Les opposants au projet, insatisfaits de cette décision, présentent cette décision immédiatement devant la Cour Constitutionnelle, qui à ce jour n’a toujours pas rendu son verdict. »
Pendant ce temps, la population locale souffre de la répression ainsi que de la contamination des sols et des eaux. Maladies et diminution des récoltes sont les conséquences directes de l’exploitation minière et résultent en un renforcement des problèmes de malnutrition et de la précarité de la population locale. Si les matériaux pouvaient parler, voilà l’histoire qu’ils vous conteraient. Oui, l’argent a un prix, mais ce n’est certainement pas celui qui figure sur l’étiquette.
Elodie Sierro, mai 2018, Guatemala
Légende Image de couverture et image du texte : Région de l’Orient ©Elodie Sierro, 2018